de Jean-Pierre Mispelon
En un demi-siècle, nous sommes passés en ce qui concerne le traitement urbain de la question migratoire, de l’opérationnalité à l’incantation. Lorsque l’on est interrogé comme urbaniste sur la contribution possible de la « Ville » à la question migratoire, on ne sait souvent que répondre.
De fait, l’urbanisme étant affaire de règles, ces dernières étant établies par l’Etat, et ce dernier étant focalisé sur la réduction des flux migratoires, il est difficile de constituer un corpus méthodologique sur le sujet.
Et pourtant, cette question est aussi vieille que les villes, et l’histoire regorge d’exemples où le fait urbain a contribué à faire société en favorisant concrètement l’accueil de populations nouvelles. Le prix de thèse de la Société Française d’Histoire Urbaine a d’ailleurs promu en 2021 un travail de Thibault BECHINI sur la contribution des périphéries de Marseille et de Buenos Aires à l’immigration italienne de 1860 à 1914
Et pour ce faire, dans un contexte où l’action publique d’Etat se focalise sur la communication et la persécution, je voudrais m’appuyer sur l’histoire de la « SONACOTRA » (1) pour illustrer comment l’Etat, à un moment donné, et malgré toute la perfectibilité du dispositif, s’est investi dans la prise en compte de l’accueil matériel de migrants.
Ce sera aussi l’occasion de rappeler que l’urbanisme n’est pas qu’affaire de design d’espace public ou de tracés urbains, puisqu’ici il s’agit de programmation de construction, dont la perfectibilité est entre autre dans l’absence de réflexion urbaine plus globale.
L’idée de la mise en place d’une société de construction pour des foyers abritant des travailleurs migrants voit le jour en 1956 au sein du ministère de l’intérieur. Une société d’économie mixte d’Etat verra le jour en 1957 et sera baptisée So.na.co.tr.al, contraction de société nationale de construction de logements de travailleurs algériens. Aujourd’hui, la structure, rebaptisée ADOMA gère 60 000 logements.
Depuis on a eu de cesse de prendre la mesure des erreurs de ce mode opératoire, tant par l’inconfort de l’offre de logement que par les effets de stigmatisation des immeubles concernés du fait de la forte concentration. Mais on ne peut contester l’opérationnalité du dispositif.
l’action de l’Etat se structure autour d’un SCHÉMA NATIONAL D’ACCUEIL DES DEMANDEURS D’ASILE 2021/2023. Ce schéma substitue la notion de place à celle de logement et fait état de 107 274 places en 2020 pour les demandeurs d’asile, ce qui représente l’hébergement d’un demandeur sur deux. Le taux moyen d’occupation est de 1 an. On observera que ce schéma ne comporte aucune composante d’aménagement, si ce n’est la volonté d’une approche globale de répartition sur le territoire national métropolitain.
Tout se passe comme si cette question majeure d’aménagement du territoire était délibérément niée de peur d’acter une situation. A moins que ce ne soit par ignorance que toute politique publique a nécessairement une dimension spatiale.
Ce faisant la part « d’atterrissage » du schéma dans le quotidien des territoires revient aux collectivités. Un certain nombre d’entre-elles, contraintes bien souvent à agir en contre-point de directives préfectorales, se sont organisée autour de l’ASSOCIATION NATIONALE DES VILLES ET TERRITOIRES ACCUEILLANTS, l’ANVITA, www.anvita.fr,. Car de fait, l’argent de l’Etat est focalisé sur les traitements administratif, et bien souvent en matière spatiale, il sert soit à déplacer les populations, soit à contrer les initiatives bénévoles contribuant à la résolution des problèmes.
« Lumières de la ville », média en ligne sur le fait urbain, parmi d’autres a tenté une approche de ses questions
https://lumieresdelaville.net/quelle-place-pour-les-migrants-dans-nos-villes/
© Photo Reporterre
Mais il semble bien que le chantier principal pour l’urbaniste soit l’intégration de la réalité des « camps » comme une composante à part entière de l’aménagement des territoires, comme on avait pu le faire avec les terrains d’accueil des gens du voyages que la loi Besson avait en … contribué à officialiser dans les PLU. Et si on créait une catégorie « zone temporaire d’habitat » dans les documents d’urbanisme ?
(photo Reporterre)
Dans un vaste article sur le statut des bidonvilles, Reporterre s’interrogeait sur « le bidonville est-il l’avenir des villes ». La question serait peut-être davantage, comment intégrer les quartiers spontanés comme un fait urbain à part entière.
https://reporterre.net/Le-bidonville-est-il-l-avenir-de-la-ville
Car de fait, si on tente de poser un diagnostic des paramètres spatiaux de l’accueil des demandeurs d’asile, il y a, outre la question d’un hébergement susceptible d’accroitre l’insertion des personnes dans le tissu local, majoritairement celle de l’élargissement de la notion d’espace et de vie urbaine au-delà de la vie « régulière ».
https://www.revue-urbanites.fr/informalite-migrations-et-urbanisme-temporaire/
Dans la même revue en ligne « lumières de la ville » Sébastien Thiery qui anime le collectif PEROU (Pôle d'exploration des ressources urbaines) résume clairement la situation dans un autre article de cette même revue.
« Il n’y a réellement aucun problème de place ou de moyens, mais un problème des représentations que l’on se fait du problème »…/…
« faire l’hospitalité c’est oeuvrer précisément pour celle ou celui qui n’est pas encore là »
https://lumieresdelaville.net/plan-migrants-rencontre-avec-sebastien-thiery-larchitecte-urbaniste-qui-espere-bien-plus/
Ainsi donc la question de l’habitat, plus particulièrement autour des questions d’hospitalité vis-à-vis des flux migratoires, est-elle essentiellement une question d’urbanisme et de regard porté sur ce qu’est la ville, bien avant une question de construction.
(1) Une politique de logement: la Sonacotra (1956-1992) par Marc Bernardot. Thèse pour le doctorat en sciences sociales, sociologie. Université de Paris- I-Panthéon-Sorbonne.
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