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Photo du rédacteurMyriam Cau

On ne traite pas une pathologie sociale par la destruction de la Ville et de l'histoire

Dernière mise à jour : 17 janv.





Aujourd'hui le Maire de Roubaix Guillaume Delbar et son bras armé Lille Métropole Habitat avec sa Présidente Anne Voituriez et son Directeur Général Maxime Bitter ont pris l'immense responsabilité de démolir les emblématiques immeubles du quartier de l'Alma-gare à Roubaix. Ils détruisent par là même un #patrimoine #matériel et #immatériel #irremplaçable de Roubaix, dans un processus de décision autoritaire et en refusant toute concertation tant avec la population qu'avec les professionnels. Cette opération engagée dans le cadre de l’ANRU restera comme une tâche indélébile sur tous ceux qui y ont contribué et y ont consenti.

Désormais quand vous entendrez Roubaix Ville du Zéro déchet, Roubaix et Participation, Roubaix et Ville d'Art et d'Histoire, vous saurez que ce ne sont que des artefacts de communication.

C’est une grande tristesse et une impasse totale que d’en arriver là. Cet ensemble immobilier patrimonial et de qualité devait faire l’objet d’une réhabilitation.

Je m’adresse à vous tous, qui voudrez bien me lire, c’est parce que je considère que cette affaire relève de l’intérêt public et doit s’apprécier en tant que telle.

Nous sommes nombreux à avoir tiré toutes les sonnettes d’alarme sans possibilité d’ouvrir un dialogue avec le Maire de la Ville de Roubaix.

Voici au nom de l’association « urbanistes des Hauts-de-France » , qui fédère les professionnels dans notre région et appartient au Conseil Français des Urbanistes, un résumé de la situation et des arguments qui ont été développés en faveur de la préservation de certains ensembles immobiliers de l’Alma


L’ANRU mais avec discernement


  • Nous ne sommes pas contre les démolitions par principe, et nous ne demandons pas l’arrêt de toute démolition sur l’Alma-Gare. Seul 3 ensembles patrimoniaux et historiques de valeur plus la salle de sport sont concernés par notre alerte.Nous avons en mars 2023 écrit au Président de la MEL, au Maire de Roubaix et à l’ANRU avec copie aux bailleurs sociaux concernés et au préfet pour demander un moratoire le temps d’ouvrir un dialogue avec les parties concernées. Seule l’ANRU nous a répondu, indiquant qu’il était possible de réviser le projet mais que cela dépendait du Maire. Ce courrier est téléchargeable sur le site www.urbanisteshdf.org

  • Nous ne sommes pas contre les programmes de l’ANRU, auxquels professionnellement nous apportons régulièrement notre expertise. Cependant, nous appelons à plus de discernement quant aux démolitions, notamment d’un point de vue de la préservation du patrimoine du 20ème siècle. C’est l’avis de l’ensemble de la profession qui considère que l’ANRU doit aujourd’hui reconsidérer ses orientations


  1. au regard de la #crise #du #logement en France, et particulièrement dans notre métropole

  2. au regard des objectifs de #sobriété en #ressource compte tenu de la stratégie bas-carbone de la France et de la feuille de route pour l’#économie #circulaire.

  3. et enfin, afin de ne pas détruire toute une génération de réalisations en matière de logement social dont certaines de grande valeur par sous-estimation de cet enjeu patrimonial.


L’avis rendu à l’État et à la MEL de la Mission Régionale d’autorité environnementale Hauts-de-France sur ce projet ANRU pose ce sujet avec clarté “L’autorité environnementale recommande de compléter l’étude d’impact par un travail d'inventaire et de réflexion sur l'éventuel intérêt patrimonial, architectural ou urbain des nombreux immeubles dont la démolition ou la modification profonde est projetée dans l'emprise de la ZAC et de justifier ces démolitions au regard des autres caractéristiques du quartier afin d’adapter le cas échéant le projet”

Une tribune a été publiée dans Le Monde le 7 octobre signée de réseaux et de professionnels de l’urbanisme et de l’architecture, dont de grands prix de l’urbanisme tels et le Prix Pritzker d’architecture

Cette tribune a fait l’objet d’une pétition qui à ce stade a mobilisé 13 919 signatures.


Sur l’aspect patrimonial, historique et culturel, seule l’ignorance peut expliquer d’envisager de démolir les immeubles les plus emblématiques de l’Alma-Gare.


Du point de vue du patrimoine matériel, l’Alma-Gare est la traduction précurseure au sortir des années 70 du mouvement de recherche urbaine européen, qui visait à définir la « nouvelle ville européenne » (*Très différente de la notion de « ville nouvelle » à la française) comme alternative aux grands ensembles, et aux constructions déconnectées de l’identité urbaine et relationnelle des quartiers préexistants. Le grand Maurice Culot, architecte et urbaniste, historien des Villes et de l’architecture, en a été un des théoriciens, il y a fondé à Bruxelles les Archives d'Architecture moderne, avant d’être responsable du département archives et histoire de l’Institut Français d’Architecture, président des Archives d’architecture moderne et de la Fondation pour l’Architecture. L’ensemble AUSIA, celui qui est actuellement emmuré, est l’exemple le plus abouti de cette réflexion et puise son inspiration à Bruxelles. Il a reçu à sa livraison en 1981 le grand prix de l’architecture du Conseil de l’Europe. L’autre ensemble contigüe, celui de l’architecte Gilles neveux, présente de son côté un exemple inédit d’architecture narrative. Le quartier a été visité par de multiples délégations de toutes provenances.

2 démarches ont été entreprises pour la sauvegarde de ce patrimoine auprès de l’État :


  • Une demande de « labellisation patrimoine du 20ème siècle » auprès de la DRAC et de la commission nationale a été déposée en juin 2023 par l’Agence AUSIA qui a conçu et bâti l’ensemble Fontenoy-Frasez. Cette demande soutenue par le Président de DOCOMOMO[1] France, Mr Richard Klein, enseignant à l’ENSAP de Villeneuve d’Ascq. Cette labellisation n’empêcherait pas une démolition.

  • Notre association a contribué à la demande d’instance de classement déposée auprès de la ministre de la Culture Mme Rima ABDUL MALAK par l’association Métropole Label.le. La ministre seule, par sa décision, peut accorder un moratoire le temps de l’instruction au fond de la demande de protection. L’inspection générale des monuments Historique est venue à cet effet inspecter l’Alma-Gare le 14 novembre.


Du point de vue du patrimoine immatériel, l’Alma-Gare n’est pas n’importe quel quartier. Il est le fruit d’une expérience inédite de coproduction urbaine avec les habitants au sortir des années 70. Sa conception collaborative a été appuyée par le Plan Construction de l’État et l’école d’architecture de La Villette. Cette opération a généré de nombreuses innovations : la 1ère régie de quartier de France, l’Atelier Populaire d’Urbanisme, une école ouverte sur le quartier, une cantine et imprimerie solidaire, un foyer de personne âgées éclaté favorisant les relations intergénérationnelles … On enseigne l’expérience de l’Alma-Gare dans les instituts d’urbanisme, c’est une référence nationale et internationale. Les esquisses du travail de coproduction avec les habitants sont en partie conservées au Centre Pompidou, musée d’art moderne. On ne compte pas les publications, documentaires, et articles de presse consacrés à l’Alma, sans compter les prix et distinctions. Le dossier transmis à la DRAC contient 5 pages serrées de bibliographies et filmographies.

Il existe une telle richesse dans l’histoire roubaisienne de l’Alma-Gare qu’elle éclaire toute l’histoire urbaine et sa disparition serait une perte irréparable. La grande difficulté est que la démolition constitue un processus irréversible, et nous constatons que malgré les alertes aux institutions et acteurs concernés à ouvrir le dialogue, ils se sont livrés à une course de vitesse.


Absence de dialogue version tout-sécuritaire

Depuis la situation a pris une tournure jugée dangereuse. Des ouvriers ont été harcelés sur le quartier, des entreprises déclarent forfaits. Des vigilances et la Police sont présents en masse. Le préfet a décidé par arrêté de déployer des drones.

Ce que ne dit pas la Voix du Nord, c’est que les jeunes également ont été menacés par des personnes cagoulées, et que des contrôles policiers se font pour les lycéens au retour de l’école à l’entrée de leur logement.

La tension a été aggravée par la pose d’un #mur de #béton qui emmure complètement toute une partie du quartier, obstruant les circulations piétonnes de cœur d’ilots qui permettait le déplacement sécurisé des enfants de l’école Elsa Triolet.

La population se sent méprisée, on lui parle de meilleur cadre de vie à terme mais on les oblige à déménager et on leur offre un paysage urbain quotidien qui est celui d’un #ghetto.

Le collectif d’habitants contre la démolition de l’Alma-Gare a conduit des actions d’affirmation positive : barbecues intergénérationnel, portraits peints, atelier ouvert de contre-projet, visites, nettoyage de parties communes. Depuis 1 an, il réclame un dialogue qui n’a jamais pu avoir lieu avec la municipalité.

Il est grave de ne pas avoir été capable d'offrir un débouché politique à cette demande constructive et pacifique, et de concourrir à délégitimer sur le quartier les adultes et jeunes qui s’y sont engagés. Cela laisse la place à des postures difficilement contrôlables. Les émeutes urbaines ne sont pas si loin, il fallait une place pour la discussion et pas seulement un mur et un mur d’incompréhension.

Pour l’ensemble des roubaisiens, tout cela va trop loin et l’érection du mur, comparé à celui de Berlin, fait l’unanimité contre lui.


Réhabiliter plutôt que démolir

 Il est important de signaler que les logements en démolition actuellement (Fontenoy-Frasez) sont des logements d’excellente facture, avec des matériaux de qualité (voiles béton, briques), lumineux, spacieux, avec pour beaucoup des balcons ou des coursives, donnant sur des coeurs d’ilots verdoyants. Contrairement à ce que pensent certains sans le savoir, ce ne sont pas de logements « pourris » (entendu à la #MEL). C’est un ensemble parfaitement réhabilitable, qui correspond au standard recherché dans les écoquartiers (hors aspect thermique à revoir). Ces logements n’ont que 40 ans.


Alléger le bilan carbone

Les sources varient mais concordent en faveur d’une réhabilitation plutôt qu’une démolition reconstruction. Il peut y avoir une différence de +15% de CO2 pour une opération de démolition-reconstruction, contre une réduction de 25% pour une réhabilitation. En ordre de grandeur, une rénovation lourde représente 2 fois moins d’émission qu’une reconstruction. L’#ADEME mais aussi IEB à Bruxelles proposent des outils et méthodes d’études comparée entre démolition et réhabilitation. La Présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes, de même que l’ensemble du réseau des architectes de la Manifeste pour une Frugalité heureuse & créative alertent et réclament que la réhabilitation soit systématiquement privilégiée. C’est un changement de paradigme qui doit être mis en place, et il est paradoxal de se laisser aller à un tel gaspillage dans la Ville, Roubaix, qui a fait son image de marque sur le zéro déchet.


Conforter plutôt que déloger

Monsieur le Préfet du Nord dans son courrier à l’adresse de la MEL en date du 15 novembre fait un constat sévère : la MEL est très en-deçà de ses objectifs de relogement et de reconstitution de l’offre, contrairement autres agglomérations de la région.

Il indique notamment

  • « je vous informe que pour ne pas aggraver le déficit de logements sociaux, mes services instruiront avec la plus grande rigueur les dossiers de demande de démolition de logements sociaux à venir sur le territoire de la MEL, avec ou sans financement de l’ANRU, en s’assurant que les capacités de relogement des ménages et de reconstitution de l’offre soient démontrées ».

  • « les retards pris obligent à la redéfinition d’une partie des programmes de rénovation …/… ; il faut donc pouvoir prioriser les opérations et envisager lorsque cela est possible, l’abandon de certaines opérations de démolition de logements en les remplaçant par des réhabilitations et résidentialisations ».


En toute logique, les très belles résidences de l’Alma – patrimoine matériel et immatériel - devraient pouvoir être réhabilitées et résidentialisées. Il est même possible de les restructurer et les diversifier.


Vous êtes tous sur ce réseau des relais d’opinions, vous êtes désormais informés de cette situation, et de la faillite des politiques publiques qui conduisent à la destruction de l'Alma-Gare à Roubaix.


Nous savons que l’on ne traite pas d’une pathologie sociale par la destruction de la Ville, mais par un ensemble de réponses partenariales impliquant la population.


La population de l’Alma, ses familles, ses jeunes ne sont pas des problèmes, ce sont des potentiels si l’on accorde à ses meilleurs éléments le respect du dialogue. Ils sont le pilier de la « Politique de la Ville » et le levier de la résolution des problèmes de l’Alma.

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