Par Jean-Pierre Mispelon
Cet anglicisme, que l’on peut traduire dans la langue de Molière par « rester chez soi » ou « rester à la maison », est une interpellation plus forte que l’on ne pourrait le penser pour les urbanistes. Certes, « STAY HOME » pourrait être considéré comme le degré zéro de l’urbanisme dans la mesure où il vide l’espace public de ses occupants, mais ce serait ignorer deux facettes de l’urbanisme qu’en d’autres circonstances, on a tendance à oublier un peu…
Le confinement crée un « laboratoire urbain » au sens premier, c’est-à-dire que certaines situations élémentaires sont isolées permettant mieux leur exploration.
Smart city.
Tout d’abord, cette situation fait la démonstration qu’une ville n’est pas que du bâti. Dans la circonstance présente, le bâti, la forme urbaine, l’urban design est là, mais l’urbanité s’en est allée.
Si l’urbanisme, c’est faire société avec le cadre de vie, alors le « STAY HOME » ouvre un champ nouveau d’exploration, puisque présentement, ce n’est plus l’espace extérieur qui est chargé de faire société, mais l’espace intérieur. Aidé en cela par les technologies de communication. En cette période, c’est clairement la mise en évidence du rôle « sociétal » de ces technologies d’échange, voire de travail collaboratif.
Le « chez soi » qui était jusqu’alors une expression de refus de la société, devient le cadre de cette nouvelle relation sociale. « L’écran » porte plus que jamais bien mal son nom, puisqu’il est une fenêtre (window) sur l’ailleurs, et que la juxtaposition de ces fenêtres en effet mosaïque, constitue l’horizon de cette communauté nouvelle. Ce faisant, on perçoit dès lors de manière plus évidente, les limites de cet « espace public » numérique, l’absence d’effet d’aubaine ou de sérendipité. N’entrent dans cette communauté que ceux qui y sont invités.
C’est alors que l’on découvre que le terme « smart city » est bien mal approprié. Car si la cité est ce lieu de l’urbanité, les technologies « smart » telles qu’elles sont généralement mentionnées en référence à la « smart city » sont bien éloignées de ce que l’on voit en œuvre actuellement pour refaire société en l’absence d’accès à l’espace public physique. Car la vraie « smart city » est bien celle qui se déploie actuellement pour tisser des liens entre individus, groupe d’individus, collègues, professeurs-élèves, …. C’est aussi là que l’on prend la mesure du repli d’une conscience urbanistique qui n’a pas su investir jusqu’alors ces champs nouveaux faussement dématérialisés de la communication numérique.
Windows
L’autre facette de la circonstance, ce sont les rendez-vous quotidiens aux fenêtres pour saluer le travail des soignants. Pour le coup, même s’il est toujours question de « windows », la disposition de celles-ci les unes par rapport aux autres est importante. Si la rue n’a pas le monopole des échanges de logement à logement, elle est néanmoins un opérateur qui contribue à la résonance (au sens propre et au sens figuré) de la manifestation. Au-delà de la typologie de la rue, la synergie de l’évènement repose sur la disposition des fenêtres les unes par rapport aux autres. Cela met en évidence de manière renforcée, le rôle des fenêtres comme opérateur sociétal, ainsi qu’à leurs positionnements respectifs. Des étudiants de Polytech Tours ont d’ailleurs fort opportunément lancé un questionnaire pour explorer cette question.
Une fois encore, nous ne sommes pas dans l’urban design, même si la fenêtre est bien un composant physique de l’espace bâti. Car l’enjeu n’est pas sur l’objet lui-même mais sur la position respective des objets les uns par rapport aux autres, et surtout sur un regard du dedans vers le dehors et non l’inverse. Cette question de la fenêtre peut aussi être rapprochée de celle d’un autre lien entre le dedans et le dehors, le seuil. Mis en scène par les files d’attente devant les boutiques, la question de l’entrée dans l’édifice, que l’urban design néglige souvent, est ici hypertrophiée part la nécessité de ralentir le mouvement de l’entrée, au risque d’accroitre la diffusion du virus.
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