L’épidémie de Coronavirus apparue en janvier 2020 provoque un état d’urgence mondialisé qui confine l’humanité, mais qui ne peut suspendre la pensée et le désir d’une société alternative dont chacun·e conçoit bien l’extrême nécessité. Nous rongeons notre frein, mais pas seulement. Beaucoup d’entre nous s’appliquent à réfléchir à l’état de défiance et s’emploient à le surmonter. Plusieurs fois par semaine de confinement, le Familistère invite une personnalité, géographe, historienne, artiste, architecte, sociologue, écrivain·e, entrepreneur/euse ou médecin, à proposer la lecture d’une image du Familistère dans le contexte de l’épidémie et de ses conséquences sociales et politiques. Aujourd'hui, Pascale Poupinot, urbaniste.
LE FAMILISTÈRE A DÛ ÊTRE PENSÉ PAR CETTE FEMME…
par Pascale Poupinot
Pascale Poupinot est urbaniste. Elle est déléguée générale de l’agence d’urbanisme Oise-les-Vallées.
Marie Moret à l'âge de 25 ans environ. Photographie anonyme, vers 1865. Collection Archives départementales de l'Aisne.
Avril 2020, la France est confinée, comme la moitié de l’humanité. Je suis confinée et en feuilletant l’album du Familistère, je tombe sur la photo de cette jeune femme d’environ 25 ans aux cheveux courts vers 1860/1865. Près d’elle sur la table, les œuvres de Racine et de Voltaire… Qui est-elle ? Une libre-penseuse, une éclaireuse, une conquérante, une visionnaire, une utopiste ? Quel a été son rôle au sein du Familistère ? Pourquoi ne la connait-on pas aussi bien que Jean-Baptiste Godin ? Pourquoi n’a-t-elle pas sa statue sur la place ?
160 ans après cette photographie, je me plais à penser que cette jeune femme a été l’urbaniste du Familistère. Elle ne l’a peut-être pas dessiné, construit, réalisé. C’est Godin qui était à la manœuvre, mais le Familistère a dû être pensé par cette femme. C’est d’abord l’école mixte qui accueille les filles comme les garçons, la nourricerie et la crèche pour les bambins, le théâtre à la place de l’église comme lieu privilégié des débats et des fêtes, l’économat et son restaurant pour gérer les stocks et les réserves, la buanderie-piscine consacrée à l’hygiène du linge et des corps, le palais social pour héberger les ouvrières et les ouvriers. Un peu plus loin le jardin d’agrément constitué aussi d’un potager, d’une serre et d’arbres fruitiers comme les nombreuses parcelles individuelles pour nourrir les habitants. Encore plus loin le Palais de l’industrie, lieu de production industrielle avec les fonderies et la fabrication des poêles et des cocottes.
Tout y est, il ne manque rien : la ville hygiéniste, la ville utopique est bien là ! Elle permet d’habiter, de se nourrir, de travailler, de se divertir et de se rencontrer.
Le coronavirus actuel oblige l’urbaniste que je suis à me poser des questions et à revoir mes certitudes. La pandémie actuelle s’est plus vite développée dans les villes denses, dans les quartiers populaires où les logements ne sont pas assez grands ou restent insalubres. La promiscuité dans les transports collectifs favorise aussi sa diffusion…
Comment faut-il (re)penser la ville ? Quel urbanisme tactique faudra-t-il concevoir après cette pandémie ? Je n’ai bien sûr pas les réponses à ces questions, mais en refermant l’album du Familistère, jour d’anniversaire (21 avril 1944) du droit de vote accordé aux femmes en France, je me plais à penser que Marie Moret (1840-1908), petite nièce, collaboratrice, compagne et épouse de Jean-Baptiste Godin, va me permettre de réfléchir à la ville idéale de demain, au bien-être de ses habitants et à la place de la femme dans la société, comme elle a dû le faire plus d’un siècle avant moi !
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