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L’urbanisme de transition ou comment jouer avec l’incertain ...

Dernière mise à jour : 2 déc. 2020

Si l’urbanisme de transition est un nouveau défi qui mobilise l’ingénierie complexe du foncier, c’est d’abord le génie des lieux qui rencontre le génie des acteurs qui fera sa réussite...


édité dans Revue Etudes Foncières N°177


Jazz à la Chaufferie de Plaine Image Tourcoing "Avant" ... Photo Myriam Cau

Longtemps la fabrique de la ville, s’est concentrée sur la conquête de nouvelles frontières, les villes à l’étroit ont abattu leurs enceintes, englobé les faubourgs, essaimé le long des routes et grignoté les terres agricoles. L’étalement urbain n’était pas un problème : la conquête de l’espace grâce à la mobilité automobile et l’exode rural consacrait l’essor de la France urbaine. Aujourd’hui l’imaginaire des villes nouvelles et de la ville à la campagne a cédé la place à l’impératif du renouvellement urbain. La désindustrialisation de régions entières, avec leurs cortèges de friches, la déshérence de tissus urbains obsolètes, la lente agonie de certains centres-villes commerçants nous parlent des villes post-industrielles. A force d’utiliser les espaces ruraux comme une facilité pour bâtir, on en vient à consommer l’équivalent de la surface d’un département tous les 7 ans. A ce rythme, les enfants de nos enfants nous demanderont ce que nous avons fait de la France et de sa sécurité alimentaire. Heureusement, une contre-pensée s’élabore « faire la ville sur la ville », tendre au « zéro artificialisation nette », penser la réversibilité des usages et l’économie circulaire du foncier.


Aux avant-postes de ce nouveau paradigme, des pratiques émergent, portées par la nécessité ou par l’opportunité créative. La nécessité, car on ne peut pas vivre décemment à côté de lieux abandonnés, du danger de pollutions invisibles, d’immeubles squattés, d’usages subis et de paysages où le déclin suinte l’échec. L’opportunité, car le vide permet le déploiement des possibles. D’ailleurs, au sens propre comme au sens figuré, « la nature a horreur du vide » ...


Aussi que ce soit par le miracle des végétations spontanées ou celui des cerveaux fertiles de la société civile, le contexte est campé d’un nouvel urbanisme qui bouscule le monde de l’aménagement, sa tradition normative, la dynamique des marchés fonciers et la sécurité (relative) des bilans d’aménagement.


L’urbanisme de transition anticipe à sa façon les besoins de demain. Il s’inscrit parfois dans une démocratie d’interpellation, où l’élu révise sa posture : il rend compatible l’expression de besoins locaux, de revendications et la capacité à agir des milieux économiques, des aménageurs, tout un monde de contraintes et de réalités. Souvent, il est médiateur, ou animateur. De toute façon, in fine quand cela ne va pas, c’est lui que le citoyen met en cause.


La tentation la plus naturelle serait de tout empêcher et de mettre en attente les fonciers, en ayant supprimé les facteurs de dangerosité possible et assurant le gardiennage. Un terrain mis à zéro, débarrassé de toutes ses sujétions (bâti, pollution...) et grossièrement engazonné, un immeuble débranché, bien clos et fermé avec sa trappe de visite ont longtemps constitué une bonne pratique pour attendre le projet, en absence de visibilité sur le devenir. On a ainsi connu la gestion transitoire : veille, sécurité et entretien bon père de famille... L’innovation ce fut le dialogue avec les riverains. On n’en est plus là, le foncier se soucie de soutenabilité, c’est une richesse dont l’évaluation dépasse de loin la seule appréciation des marchés fonciers.


On avance aujourd’hui vers un urbanisme de transition, non plus seulement un impensé résiduel qui autorise à la marge des usages transitoires, mais une véritable réactivation de l’empowerment local et de revitalisation d’un quartier, d’un centre bourg, d’un espace disqualifié. Les tiers-lieux investissent les bâtiments de bureaux désuets, les hôpitaux déclassés, les gares délaissées, le vieux café, l’usine... Cela tombe bien, on n’avait pas ou pas encore de projet, alors pourquoi pas ... De vastes terrains sont investis : jardins, lieux de convivialité, agriculture, démarches artistiques on y fabrique des édicules, on y pose des questions sur l’avenir ... Il se trouve que la société a changé, de plus en plus de gens recherchent une autre urbanité, des qualités de convivialité, du lien, un autre rapport au travail, ils sont en quête de territoire de biens communs, de modes de vie plus hybrides... Une partie de la jeune génération des architectes et urbanistes s’implique dans un rapport alternatif au travail : habiter sur place, tester in situ les idées, co-construire avec des habitants, designer, prototyper, acceptant aussi - il ne faut pas évacuer ce problème - de vivre de peu.... Le collectif Yes We Camp a été précurseur, à Marseille, à Paris avec les Grands Voisins, de cette implication professionnelle acceptant la part d’utopie positive et concrète des « makers », ceux qui font.


Il n’y a pas de règles, pas de bréviaire urbain : les propriétaires, les aménageurs, les décideurs politiques avancent à pas prudents, l’expression active des citoyens est une force, - contrariante -, mais une force ... On laisse un peu faire mais pas trop, on s’inquiète des proportions que cela pourrait prendre, des contraintes induites sur les projets. Alors partout, on dialogue, on compose et surtout on invente en marchant : des conventions d’occupations transitoire, des mises en sécurité, des échanges de prestations, des cohabitations... Les témoignages des aménageurs sont clairs : on devait avant gérer des aléas (juridiques, de chantier, commerciaux...), maintenant il faut gérer des incertitudes temporelles et programmatiques. L’ingéniosité des citoyens bâtit des alternatives sociales et économiques dans ces lieux et ces espaces. Mais l’ingéniosité des acteurs du foncier et de l’aménagement est tout aussi forte : ils inventent des façons rendre possible mais aussi de sécuriser l’occupation, ils appuient des projets immédiats qui ménagent aussi le projet à venir. Ils feront du judo avec l’existant car après tout cet urbanisme de transition a créé de la valeur, de l’attractivité propice aux projets à venir. Les métiers sont bousculés, il faut entrer en négociation avec des profanes, s’accorder avec les élus, c’est une pression nouvelle dans les agendas. Catherine Léger, Directrice de Plaine Commune Aménagement, aux assises nationale du foncier le décrit très bien : cela nécessite une posture d’ouverture face à la complexification, ce n’est pas sans coût mais ce n’est pas sans bénéfices, il est évident que les besoins sociaux sont immenses sur certains territoires tel celui de la Seine St-Denis. C’est une forme d’engagement que d’y contribuer mais aussi une force d’innovation... Les plus grands s’y lancent. Charlotte Girerd Directrice de projet s’occupe de promouvoir une approche innovante des questions foncières et immobilières à SNCF Immobilier, avec un beau portefeuille de projets d’urbanisme transitoire à son actif.


Cependant rien n’est gagné sans lucidité sur les fragilités de ces écosystèmes de projet : leur naissance suppose des mises à disposition de foncier ou d’immobilier à titre gratuit ou inférieur aux prix de marché. Par ailleurs, sans modèle productif de soutien, les tiers-lieux peuvent mourir. Mais si on demande d’abord aux tiers-lieux d’avoir un modèle économique, on les condamne d’emblée. Ce sont des démarches qui ne vivent qu’avec des marges d’incertitudes.


Les tiers-lieux sont aussi des « territoires tiers-lieux », les forces d’activation de démarches de développement social, culturel, économique peuvent s’exercer sur de vastes emprises. De nouveaux opérateurs, tiers de confiance, s’emparent de la complexité de la revitalisation sur des fonciers complexes pour constituer des communautés d’action. C’est ce que fait par exemple la SCIC « Alliance Sens et Société » animé par Christophe Besson-Léaud sur le projet microville 112 pour revitaliser une ancienne base aérienne au nord de Reims.


L’urbanisme de transition peut s’appuyer sur des tiers lieux activateurs de territoire, et prend doucement sa place dans la palette des politiques publiques. On voit fleurir les appels à manifestation d’intérêt et des dispositif financiers d’appui sur les territoires les plus avancés. Ces pratiques ont parfois pris un tel essor que des réseaux d’appuis se constituent tels la coopérative tiers-lieux en Nouvelle Aquitaine ou la compagnie des tiers-lieux en Hauts-de-France. Échanges entre pairs, formation, outillage, évaluation : l’innovation n’empêche pas l’organisation et la montée en compétence des acteurs.


Loin d’être réservé à la Ville, la ruralité en recherche d’un second souffle mise aussi avec succès sur ces projets hybrides, pour le co-working, l’incubation ou la recréation de services et de lieux de convivialité.


En ville, comme à la campagne, un tiers-lieu ne se décrète pas : il part des besoins, il s’appuie sur des énergies de la société civile. Cerise sur le gâteau, s’il a une dimension identitaire ou patrimoniale, il n‘en aura que plus de capacité à réussir la mobilisation des énergies et de chance de s’inscrire dans la durée.


Finalement si l’urbanisme de transition est un nouveau défi qui mobilise l’ingénierie complexe du foncier, c’est d’abord le génie des lieux qui rencontre le génie des acteurs qui fera sa réussite...

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