Par Laurent RENAVAUD, Urbaniste, AGUR
Le 2 juin dernier, l’Agence d’urbanisme et de développement de la région Flandre-Dunkerque (AGUR) a organisé pour la première fois une version en ligne de ses « petits dej’ », tout en conservant néanmoins les grands principes qui font le succès de ce format depuis 2019 : une heure, un thème, des échanges.
Au regard du contexte, le e.petit dej’ s’intéressait aux conséquences de la crise sanitaire sur nos modèles urbains. Ou comment continuer à promouvoir la ville dense et durable face aux préoccupations actuelles de distanciation et de lutte contre la promiscuité.
Dès mi-mars et le début du confinement instauré par le Gouvernement, de nombreux professionnels de l’urbanisme se sont posés les mêmes questions : nos habitats vont-ils permettre aux habitants de rester plusieurs semaines (au final plusieurs mois) enfermés chez eux ? Notre société urbaine va-t-elle parvenir à satisfaire tous les besoins élémentaires ? Et lorsqu’il faudra sortir, comment-ferons-nous (dans les transports en commun notamment, que nous n’avons cessés de promouvoir) ?
L’équipe de l’AGUR a ainsi très rapidement décidé d’engager un travail de capitalisation des écrits qui paraissaient sur ces questions. Et les sources n’ont pas manqué, tant les articles questionnant la « ville d’après » ont été nombreux au fil des semaines dans la presse spécialisée comme dans les médias généralistes. C’est donc plus de 130 références que les urbanites dunkerquois ont analysé et synthétisé avant d’en proposer une restitution en ligne à plus d’une cinquantaine de personnes.
Le croisement des différentes sources a permis de mettre en avant 9 grandes thématiques qui revenaient systématiquement, avec pour chacune d’entre elles des enseignements qui se dégageaient d’ores et déjà ainsi que des pistes d’adaptation voire de réorientation nécessaire de la pensée urbaine.
Le retour au premier plan de la qualité des logements
Confinés plus de 2 mois chez eux, les français ont pu redécouvrir dans le détail leur logement, ses qualités mais aussi ses défauts. Superficie trop réduite rendant difficile le télétravail ou l’école à la maison, absence d’accès vers un extérieur … Autant de critères qui ont fait ressortir des inégalités aggravées par la contrainte du « rester chez soi » et qui pourraient modifier à l’avenir les priorités des futurs achats immobiliers.
Feu vert pour les mobilités actives
Les situations exceptionnelles conduisent parfois à la prise de mesures exceptionnelles, qui se seraient révélées impensables ou - au mieux - compliquées à faire accepter et à mettre en œuvre par le passé. C’est le cas pour le sujet de la mobilité qui a rapidement placé les collectivités face à une double contrainte : assurer une moindre fréquentation (provisoire) des transports en commun tout en ne revenant pas au « tout voiture ». Place donc à l’élargissement et la création de pistes cyclables et de parcours piétonniers, à l’adaptation des temps de la ville … Autant de mesures qui étaient déjà identifiées avant la pandémie comme des piliers de la ville durable.
La ville dense : une réponse toujours pertinente face à l’urgence climatique, mais qui doit mieux intégrer les contraintes sanitaires
La crise sanitaire, occasion d’un retour en grâce de l’étalement urbain ? Pour ne pas lutter contre une crise (sanitaire) en oubliant totalement les dangers d’une autre crise (écologique), les acteurs de l’urbanisme vont devoir plus que jamais convaincre des possibilités de bien-vivre dans des milieux urbains qui doivent nécessairement gagner en densité. Avec à la clef un défi à relever : la densité urbaine de qualité, intégrant mieux des questions fines comme les perceptions ou la volumétrie du bâti, la présence du végétal et des espaces verts.
Des modes de vie qui se sont adaptés, avec une redécouverte de l’importance du lien aux autres
Enfermé chez soi pendant de nombreuses semaines, dans un contexte de pandémie générale et d’incertitudes sur l’après … Quelle que soit la situation plus ou moins compliquée et exposée de chacun, le contexte fut une épreuve pour tous. De nouvelles habitudes et contraintes de sortie qui ont pu dégager un nouveau temps libre propice à la réflexion, parfois bienvenue, parfois effrayante. L’occasion de s’interroger sur l’avenir, pour soi et pour la collectivité, avec pour beaucoup une volonté de changement incarnée par une expression qui a rapidement émergée : le « monde d’après ».
Inquiétudes alimentaires, ou le retour aux besoins essentiels
A l’annonce du confinement, les américains se sont rués sur les armes à feu, les australiens sur le papier toilette, et les français … sur la nourriture. Ce constat volontairement exagéré souligne cependant une inquiétude qui avait pu être oubliée dans notre société de l’abondance : l’inquiétude de manquer de nourriture. La ruée des premiers jours sur l’alimentaire a pu surprendre, alors même que la France reste une puissance agricole de premier ordre et que les discours sur les approvisionnements furent dès le départ rassurants. Une fois passé le réflexe de constituer des réserves, ce sont de nouvelles pratiques qui ont émergé parmi lesquelles un recours accru aux productions locales. Et un sujet pour l’avenir, à penser en gardant à l’esprit l’alerte de certains experts : et si la logistique et les circuits d’approvisionnements n’avaient pas tenus … ?
Face au choc économique, une relance nécessaire … mais quelle relance ?!
Le choix de la France fut celui de nombreux pays : figer pour un temps l’activité et préserver les vies plutôt que l’économie. De premières estimations évaluent ainsi à 60 000 décès évités dans notre pays grâce au confinement. Mais une fois l’urgence sanitaire passée, la deuxième vague semble être celle du choc économique : explosion de la dette publique, destruction d’emplois, nombreuses entreprises en difficulté ou en faillite. Comme après toute grande crise de l’histoire récente, les gouvernements cherchent à provoquer un électrochoc pour redémarrer l’activité. Mais alors que le déconfinement n’était pas encore engagé, de nombreux débats ont porté sur le modèle économique actuel dont la pandémie constituerait le chant du cygne. Des plus radicaux aux plus modérés, tous les acteurs économiques estiment que cette relance offre l’occasion d’instaurer de profonds changements dont deux principaux : la relocalisation d’activités stratégiques (production alimentaire, d’énergie, de médicaments) et la priorité donnée à des productions plus respectueuses de l’environnement à l’image d’une filière automobile incitée à miser sur des motorisations plus vertueuses.
Tout comme les secteurs économiques stratégiques, une indispensable action publique à relocaliser ?
Aide aux plus démunis, distribution de protections médicales, adaptation de l’espace public … complémentaire à celle de l’Etat, l’action des collectivités locales est montée crescendo pour permettre de gérer le confinement et surtout le déconfinement. Avec en échos le retour du débat sur un nécessaire renforcement des compétences et des capacités d’actions des pouvoirs publics locaux, en proximité immédiate des citoyens.
Plus qu’un enjeu individuel, la santé à penser comme bien commun
Dans un contexte de pandémie, la capacité sanitaire est apparue comme un pilier du « soft power » des Etats. Au niveau européen comme national, certaines limites de dépendance envers l’étranger sont apparues sur le devant de la scène. Mais au-delà de l’accès aux médicaments et au matériel médical, se posent également des questions plus locales de lutte contre les inégalités sanitaires entre territoires ou de prévention. Autant de questions qui replacent la santé comme un enjeu du bien commun territorial.
La pandémie, antichambre du séisme climatique ?
Le modèle actuel, urbain, de société mais surtout économique est-il responsable de cette pandémie ? En fonction des sources, les avis divergent. Mais la crise sanitaire a très vite été mise en parallèle avec la crise écologique, montrant notamment les chocs que peuvent subir nos sociétés et la résilience qui sera a priori de plus en plus nécessaire. Un défi qui s’applique notamment à nos modèles urbains.
Neuf thèmes et de premiers enseignements issus de plus d’une centaine de sources, parfois convergentes et parfois opposées dans leurs points de vue, qui ne constitue que les prémices d’un travail de bilan qui devra nécessairement être mené par les acteurs territoriaux et de l’urbain afin de prendre en compte un paradigme de plus dans un domaine pluridisciplinaire déjà complexe.
La présentation, la captation vidéo ainsi que la synthèse graphique du e.petit dej’ de l’AGUR du 2 juin 2020 sont à retrouver en ligne : http://www.agur-dunkerque.org/Agence/Vie-Agence/vie52
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