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Bio-territoires, pour retrouver nos ancrages...

Par Myriam Cau

Texte contributif au livre "Commune frugale" - août 2021


Il y a urgence à définir une nouvelle voie pour rendre viable, la présence des établissements humains au sein de la biosphère, au regard de leurs impacts environnementaux et sociaux. Il nous faut sortir de la catastrophe post-urbaine des mégalopoles et de l’urbanisation diffuse[1], ou encore des « désastres urbains »[2] que dénonce Thierry Paquot. Il nous faut aussi sortir de l’utilisation des campagnes comme plateformes productives[3], et de l’asservissement de ces campagnes et des espaces de faibles densité, aux besoins dévorants d’approvisionnement des métropoles mondiales.


Les grandes concentrations urbaines ne sont pas viables en tant que telles, elles s’appuient sur un terrain d’approvisionnement planétaire, qui est prédateur des ressources, sans que nous ayons bien conscience des effets lointains de notre mode de consommation et des inégalités engendrées. Elles sont vulnérables aux aléas climatiques, financiers, logistiques, cybernétiques, aux tensions géopolitiques. Le niveau d’autonomie alimentaire des 100 premières villes de France est de 2%, et à l’échelle nationale la France importe 50% de ses fruits et légumes. Les métropoles ont perdu le lien ancestral qu’elles avaient avec leur hinterland et leurs ceintures maraichères. La décomposition des chaines de valeur de la fabrique mondiale a rendu dépendant et fragile notre système productif ; à l’arrivée du COVID, nous n’étions pas en mesure de nous fournir en simples masques de tissus.


La dé-territorialisation des communautés humaines est un processus qui s’est accéléré : tandis que certains sont comme "assignés à résidence", une part croissante de la population vit dans un espace théorique, mondialisé, ubiquitaire grâce au numérique, homogénéisé, dé-saisonnalisé. La notion de territoire que l’on gère comme un « bien commun » s’efface en même temps que se dissout la ville dans des territoires fragmentés et banalisés. L’étalement, l’indifférenciation font le deuil de l’urbanité. L’habitant a perdu les clés de compréhension de son environnement, nous avons bien du mal à relire le génie des lieux de nos espaces habités, leur histoire, leur géographie, les caractéristiques du vivant. L’artificialisation des lieux a accompagné la dépossession des savoirs vernaculaires. Des talents humains ont façonné des paysages sédimentés par le temps pour tirer le meilleur parti de ce que la nature leur avait octroyé, malheureusement cela tend à se dissoudre tant nous brutalisons le substrat de nos territoires.


Le philosophe Bruno Latour nous conseille d’atterrir... [4]

Sommes-nous capables de nous ré-approprier le territoire dans le respect des grand enjeux écologiques ? Est-il possible de revoir notre modèle de développement pour trouver un équilibre compatible avec les ressources dont nous disposons pour satisfaire dans la justice les besoins de chacun ?


La notion de bio-territoire nous offre une des rares voies pertinentes pour repenser les grands équilibres écologiques et territoriaux. Il s’agit de concevoir des habitats humains en équilibre avec leurs milieux dans un rapport de co-évolution intégrant les données hydrogéologiques, les ressources naturelles et agro-forestières, les qualités culturelles et historiques, les potentiels humains.


Cette voie permet de sortir de la logique de compétition des territoires, de l’emprise de la métropolisation, de la logique des périphéries et des déserts territoriaux. Il s’agit de rebâtir des relations ville-campagne dans des bio-territoires encore appelés éco-région[5] ou bio-région urbaine (1). Cela demande de les inscrire dans une trajectoire de soutenabilité réelle qui tienne compte des ressources locales mobilisables, de modèles productifs locaux intégrant la notion d’économie circulaire et de la fonctionnalité, de favoriser des relations de réciprocité plus respectueuses de ce qui compte vraiment : le capital naturel et vivrier base de la survie humaine. Cela suppose de revoir en profondeur notre mode de vie pour prioriser les besoins de base et conforter notre dimension d’être de culture.


Alléger la ville

Cette notion fait-elle l’impasse sur la ville ? Il est certain que l’empreinte écologique ou un « facteur de charge» (5) équilibrés semblent aujourd’hui inatteignables pour la moindre des métropoles. C’est pourtant une voie que l’on doit cultiver. La Ville n’est pas qu’un élément des échanges mondiaux, c’est une mosaïque de quartiers et d’espaces, avec ses écosystèmes morcelés souvent dégradés, et ses communautés humaines. La Ville est une turbine dévoreuse d’énergie qui peut ralentir. Il est possible de transformer la Ville du tout voiture et de prioriser les modes actifs marche et vélo, ainsi qu’une desserte optimisée par les transports en communs au sein des espaces urbains denses, et entre les pôles denses. Il est possible de sortir de la logique de séparation des fonctions pour rétablir des proximités efficaces en termes d’espaces publics et de services : cela peut faire les joies du chrono-urbanisme et de l’aménagement citoyen des espaces, des rues aux enfants, et de toutes les expériences d’urbanisme de transition... L’artificialisation des villes peut être combattue en réintégrant les fonctions écosystémiques de la nature en ville (cycle de l’eau, corridors écologiques, sols vivants, plantations pour la climatisation et la qualité de l’air...), sans oublier le potentiel de jardinage et maraichage urbain qui contribuent aux aménités.


Conforter les réseaux ruraux

Un deuxième aspect ne doit pas être négligé, c’est le contre-exode urbain. Dans les années 80 des familles de « rurbains » allaient s’installer dans les lotissements de la campagne périurbaine. Aujourd’hui le confinement a fait mesurer la difficulté d’habiter la ville dense pour y accomplir au quotidien toutes les tâches d’habiter, travailler, se distraire, respirer ... au point qu'émerge une seconde vague d’établissement dans les régions et les espaces ruraux, dont on ne connait pas encore la solidité. L’aspiration à un mode de vie apaisé et l’accès au numérique autorise des réagencements. Si la vision de Kirkpatrick Sale pouvait paraître utopique en 1985, puisqu’il voyait faire décroitre les villes pour réinstaller des populations dans les établissements humains en équilibre dans les écorégions, il ne semble plus si inimaginable de réarmer le réseau des bourgs, petites villes qui se sont dévitalisés pour accueillir ces néo-citadins tout en combattant l’étalement. La 1ère qualité d‘un territoire frugal est l’économie foncière. Finalement l’aphorisme célèbre d’Alphonse Allais peut garder sa part de provocation « Il faudrait construire les villes à la campagne, l'air y est plus sain »


Mais quel serait donc ce bio-territoire comme unité de base de territoires frugaux ?


Il ne s’agit pas d’un apport au mille-feuille territorial de la France. Les « Pays » de la Loi Voynet[6] s’en approchaient le plus, il y en a eu jusque 355[7] en 2010 couvrant 80% du territoire et 50% de la population. Ils ont plutôt bien réussi pour générer de nouvelles dynamiques de projet et mettre en commun des moyens, mais ils se sont construits sur des limites figées par le découpage institutionnel français plus que sur des « communs » structurés par la culture, la nature et la géographie. Les réformes de l’intercommunalité ont entériné leur extinction.


Le bio-territoire s’annonce, comme une unité de vie qui permet de traiter de façon intégrée les systèmes de production économiques, les enjeux écosystémiques liés au capital naturel, les aspirations humaines en matière de cadre de vie et de relations sociales et de les inscrire dans un système de gouvernance décentralisé, partagé et participatif. Il n’est pas figé dans des limites à caractère institutionnel mais se révèle par ses paysages et s’appuie sur des communautés humaines d’échange. Il contribue à renouveler la relation ville-campagne dans un objectif d’équité territoriale en bâtissant des réciprocités utiles ; il contribue à augmenter le potentiel résilient des établissements humains par une meilleure prise en compte des réalités et potentiels écologiques, par la recherche de diminution aux dépendances toxiques, par la réappropriation de la gestion territoriale par ses habitants, par la valorisation des savoir-faire et des connaissances liées au territoire.


Le bio-territoire permet de construire la frugalité tout en empruntant aux logiques du développement endogène : en valorisant ses ressources, ses spécificités et en développant ses capacités[8]. Il s’inscrit dans le nouveau paradigme de la transition écologique, et peut reprendre à son compte des objectifs du mouvement des villes en transition[9], notamment la descente énergétique (sobriété énergétique et production énergétique locale) et l’autonomie alimentaire. Près des 2/3 des aires urbaines analysées dans l’étude d’Utopia disposent d’« actifs agricoles » suffisants pour être autonomes à plus de 50%[10].


Les bio-territoires sont peut-être déjà là que nous ne les percevons pas encore, nous avons tant à (ré-)apprendre ... Cela nous offre un chemin à construire vers un horizon où la frugalité peut-être heureuse, si les consciences et le partage évoluent...


[1] Alberto Magnaghi Biorégion urbaine, petitr traité sur le bien commun. 2014 Rhizome [2] Thierry Paquot Désastres urbains: Les villes meurent aussi -2015 [3] DATA Des systèmes spatiaux en prospective -territoires 2040, espaces de faible densité, 2011 - Page 162 [4] Bruno Latour Où atterrir ? Comment s'orienter en politique La découverte 2017 [5] Kirkpatrick Sale, l’art d’habiter la terre 1985 Éditions WildProject traduction 2020 [6] LOADT Loi Pasqua, puis LOADDT de la Loi Voynet [7] François Taulelle Vers la fin des pays – 2010 – L’information géographique 2010/4 - https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2010-4-page-17.htm [8] Capacités au sein de la théorie de « capabilités » de Amartya Sen [9] Initié et fondé conceptuellement par Rob Hopkins professeur de permaculture de l’Université de Totnes en Grande-Bretagne. [10] Utopies Autonomie alimentaire des villes - note de position n°12 Mai 2017

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