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Belle et complexe ambition, le New European Bauhaus en débat ...

Dernière mise à jour : 13 déc. 2022

SYNTHESE DE L'ÉCHANGE ORGANISÉ PAR URBANISTES DES HAUTS DE FRANCE LE 17 FEVRIER 2022, avec


DOMINIQUE LANCRENON,

Présidente d’Honneur du Conseil Européen des Urbanistes

EMMANUEL MOULIN

Directeur du secrétariat du programme Européen URBACT

CAROLINE NAPHEGYI

Directrice de Design for change

SOPHIE RICARD

Architecte, membre de « La Preuve par 7 » initiée par P. Bouchain

CHRISTOPHE BARTHOLEYNS

Alliance Sens&Economie, Porteur Lighthouse demonstrator New European Bauhaus


ANIME PAR JEAN-PIERRE MISPELON ET MYRIAM CAU

Association Urbanistes Hauts.de.France




LA SYNTHÈSE

 


La Commission Européenne, a adopté en 2020 un Pacte Vert Européen pour atteindre une neutralité carbone totale en 2050. Le New European Bauhaus accompagne cette démarche, en apportant une dimension culturelle et créative autour de trois valeurs : durabilité, esthétique et ouverture à tous.


Urbanistes Hauts de France a souhaité se saisir de la dynamique de ce NEB,

- pour explorer la possible implication d’organisations professionnelles ou citoyennes intermédiaires telles que les nôtres,

- mais au-delà pour mieux approcher les conditions pour mettre les territoires au service de la réinvention de la société.


Comment cette dynamique du NEB peut amener à penser qu’il n’y ait pas d’un côté une volonté de transition « écologique » portée par les gouvernements et de l’autre des populations qu’il s’agirait d’acculturer aux solutions censées répondre aux objectifs de dé-carbonatation.


Comme en miroir du Bauhaus de Weimar qui s’était appuyé sur l’enseignement pour bousculer la conception des éléments du quotidien, de la théière à la ville, nos échanges ont montré que c’est l’école, dans la diversité de ses formats, qui apparait comme le premier levier d’une révolution de la conception des espaces habités, en phase avec les enjeux de transition.

Cette question de l’école permet de re-explorer la sectorisation actuellement existante entre les âges ou les compétences, en repartant du lieu comme clé d’entrée et non des catégories institutionnelles. Beaucoup de choses reviennent sur l’enseignement, le formatage ou le dé-formatage, l’ouverture, la société apprenante. Il y a là un énorme challenge européen.


Plusieurs intervenants ont souligné que c’était le troisième pilier, l’esthétique, qui faisait l’opérationnalité, de ce New European Bauhaus, bien avant les deux autres axes de transition écologique et de cohésion sociale.

Bien que cela n’ait pas été dit en ces termes, il apparait que l’approche par l’esthétique permette également de dépasser l’obstacle de la langue qui a été pointé dans les interventions comme une limitation à la coopération entre citoyens locaux.

Cette question du beau n’est pas souvent abordée et notamment en urbanisme où il y a vite un procès en esthétisme. C’est la représentation d’une valeur qui dépasse le « c’est beau pour toi, c’est pas beau pour moi ». Et puis le droit au logement peut aussi être regardé comme droit au beau, intégrant ce qui convient et ce qui nourrit.


Les travaux de « La preuve par 7 » présentés par Sophie Ricard ont montré qu’il était possible de composer avec l’institutionnel et à le ressourcer. En tant qu’association, nous pourrions aussi faire une mise en réseau pour transcender le côté souvent stérile des appels à participation.

« Pour échapper à la peur du changement, il n’y a pas beaucoup d’autre manière de rendre le changement désirable que d’inviter les gens à la table du changement » a indiqué Christophe Bartholeyns.

Et Caroline Naphegyi complètera en disant que la participation doit se jouer sur les variables qui impactent les personnes : les besoins, les usages, de tout ce qu’ils peuvent apporter qui n’est pas nécessairement de l’ordre de la décision.

Une autre question soulignée par Emmanuel Moulin est celle de ce que signifie apprendre en commun à l’échelle européenne, à partir d’un territoire.

La langue n’est pas la seule limite à la compréhension, mais étrangement, ces diversités nous les vivons en France, mais ne les valorisons pas. Le chantier est exemple de lieu de compréhension par-delà les langues et les cultures.

En conclusion, Myriam Cau évoque deux univers à la lumière ce ces débats :

- univers européen du NEB avec ces trois mots inclusion, soutenabilité, et beauté…. Super beau manifeste, mais avec la difficulté des différences de cultures, l’obstacle de la langue, la complexité du système européen, alors que l’on traite déjà de la complexité de la ville sur les territoires

- et l’autre écosystème, celui des collectivités, avec d’autres mots : mutation, mouvement, politisation de la société dans des vrais rapports de force plutôt que de se reposer uniquement sur des élus


Cinq points de vue ont nourri les échanges.


Christophe Bartholeyns, membre de la SCIC Alliance Sens&Eco , est partenaire depuis 14 mois du New European Bauhaus. Dans le cadre d’un « NEB Lab », dénommé éco2schools (de l’écologie vers l’école), il conduit une démarche de co-design avec l’équipe du centre de recherche européen afin de faire profiter le NEB des acquis d’un projet développé REV3.

De fait, ce regard porté sur l’école fonctionne comme une homothétie avec le projet initial du Bauhaus de Weimar :

- BW = refonder la société par la création d’un nouvel enseignement du design

- NEB = démocratiser les leviers de changement de la société, en mobilisant à une large échelle, par exemple les lieux d’enseignement.


Caroline Naphegyi, en capitalisant sur LWDC 2020[1] a essayé de répondre à un 1er appel à projet du NEB, « comment les créatifs peuvent épauler l’Europe », en proposant à la MEL de s’emparer des POCs[2] . C’était l’occasion de montrer comment le design peut être un levier de transformation d’un territoire (MEL). Ce travail a mobilisé énormément de designer, et cela permettait de montrer l’intérêt de se saisir du NEB du point de vue du design. Mais cette tentative de proposer cet outil à l’Europe n’a eu aucun retour de la MEL, considérant que LWDC était finie.


Elle perçoit aujourd’hui les limites des dynamiques d’appel à projet pratiqués dans le cadre de Design for Change[3] créée en 2010 ou LWDC, et pense plus opportun de créer une école. Les « call »[4] du NEB sont une occasion unique de la prototyper.

L’ambition est de créer une nouvelle école de design, qui corresponde à une nouvelle identité du métier de designer, plutôt pivot de diverses compétences, qui s’attarde davantage sur le questionnement préalable, mieux connecté aux questions scientifiques et technologiques.

Mais construire une école européenne nécessite de permettre l’échange entre des personnes de langues différentes.


Emmanuel Moulin a dirigé le programme de coopération territoriale Urbact[5] durant 10 ans. A ce titre, il est en contact avec 300 villes et 40 réseaux, et observe que le NEB est peu évoqué dans ces réseaux qui travaillent sur l’urbain. Il s’interroge sur « l’encombrement » des filières dans le « monde » européen.

Seulement 4 programmes de la Commission couvrent l’ensemble du territoire. Les arbitrages d’Urbact se font sous l’autorité d’un comité de suivi des 27. Cette gouvernance est un point clé de l’action surtout pour une démarche d’innovation.

Il soulève un autre point complexe dans la conduite d’une action européenne : comment construire un processus qui parte du bas. Urbact fonctionne par des appels à candidature de réseau, avec des experts thématiques qui ont une approche du travail en commun. Il y a aussi des moments de rencontre, des grandes fêtes, comme le festival Urbact des villes.[6]


Il relève que parmi les trois valeurs avancées par le NEB, écologie, inclusion, esthétique, cette dernière constitue un apport nouveau par rapport aux thématiques habituelles. Mais comment explorer une esthétique de la rareté ?


Sophie Ricard. Ce qui l’intéresse c’est d’être sur le terrain « Ce que j’entends dans ce que l’on dit, c’est comment on fait sortir l’école au dehors ». Intéressée par ces questions de « nouvelle école » elle a fait ses armes aux côtés de Patrick Bouchain durant 10 ans. « Quand on est à l’école d’archi ou d’urba on n’est pas sur le terrain ».

Il a fallu la COVID pour se rendre compte qu’il n’y avait pas que le corps enseignant, mais aussi le corps social, celui des voisins, des parents, qui étaient apprenants…


Qui dit composition, dit complexification, et donc re-territorialisation de la commande. Or des grands programmes comme l’ANRU et/ou les écoquartiers sont d’abord des tableurs excel, des modèles économiques ultra figés, ultra normés, ultra contraints, qui rendent impossible un urbanisme « vivrier ».


Faire école pour essayer d'essaimer des processus nouveaux et de nouvelles manières de faire.

Le processus d’enseignement dans les écoles d’archi ou d’urba doit être repensé puisqu’on ne peut pas penser quelque chose de neuf ex-nihilo sur plan, sans y vivre, sans communier à l’histoire des habitants des lieux passés ou présents.

Il faut vivre les lieux pour les réinterpréter, pour tester leur réversibilité. Pour pouvoir argumenter le fait que les normes doivent se mettre au service du bon sens qu’est l’usage, et plus l’inverse.

La « Preuve par 7[7] » est une école du terrain. La Fondation de France permet d’échapper au travers des appels à contribution. Cela se veut également un centre ressource car des expérimentations il y en a partout, pour faire récit.


Dominique Lancrenon s’est prêtée à la proposition initiale de visiter l’exposition au LAM, et a pu constater à travers les œuvres que le souci majeur de Klee avait été de réinterroger la notion même d’art, en allant investiguer les travaux de personnes accueillies dans des établissements de santé mentale, ceux des colonies et ses propres dessins d’enfance. La question pour aujourd’hui, serait donc comment on pousse les limites ?


Impliquée de longue date au sein de la SFU qui existe depuis 1911, elle porte un regard sur le temps long, et, s’agissant d’école, se rappelle aussi de l’émergence de la méthode Montessori qui a montré au sortir de la guerre sa capacité à intégrer des enfants considérés comme « débiles » car venant de milieux défavorisés. Cette période-là est enrichissante, et que l’Europe nous interpelle dessus est intéressant. Que ce soit une référence allemande nous renvoie également à l’expérience des IBA, où l’on crée une dynamique intellectuelle qui transgresse les lignes.

Le NEB va devoir se glisser dans les politiques existantes et affronter des résistances. Entre cette démarche de « coucou » dans les programmes européens et l’envie du terrain, il y a un gap, et nous, associations, pouvons jouer un rôle de passeur.

En réponse à une question sur modalités d’échange et les langues au sein du CEU, Dominique rappelle que lors de la conférence des CIAM en 36, en arrivant à Athènes, ils ont fait publier dans le JO grec l’obligation du recours à l’Espéranto, parce que ça avait été la cacophonie sur le bateau du trajet aller.


 

LES DÉTAIL DES ÉCHANGES


En préalable au compte rendu, et comme le veut l’exigence du chercheur, il nous faut repréciser le cadre dans lequel intervient cette rencontre.

Son idée en est venue du rapprochement d’une sollicitation de la représentation de la Région Hauts de France à Bruxelles qui souhaitait mobiliser les acteurs régionaux autour du NEB, et la tenue au LAM d’une exposition sur certains travaux de Paul Klee. Paul Klee qui a été un des « Maîtres » du Bauhaus de Weimar [1]. De fait, cette intuition de départ s’est heurtée aux exigences financières de l’institution muséale qui n’ayant pas rendu possible la tenue de la table ronde à proximité de l’exposition, nous a amené à re-calibrer cet évènement en un atelier de travail. Et en changeant de lieu, la proximité avec l’œuvre de Klee s’est sensiblement diluée.

[1] Par commodité nous noterons BW le Bauhaus qui a vu le jour en 1929 à Weimar, et NEB, le New European Bauhaus initié par la Commission Européenne.


A ) Christophe BARTHOLEYNS :


De la plateforme transfrontalière «Ecorenov rev3 Écoles de demain » à « éco2schools ».


En effet, depuis 14 mois, je fais l'expérience du partenariat officiel avec l'organisation du New European Bauhaus, mis en place par l'U.E. À la suite d'une invitation en ligne, intitulée « Joint Research Innovation », pour lesquels il importe de proposer des montages de projets coopératifs en travaillant grâce à des méthodes faisant place à des complémentarités de compétences. De plus, il est fait référence au Bauhaus des années 20, étant entendu qu'à cette époque, Henry Van de Velde avait considérablement préparé le terrain pour Walter Gropius. Les objectifs de cette nouvelle école de pensée sont multiples et ambitieux, car il s'agit, ni plus, ni moins, de réinventer des outils, des approches et de nouveaux imaginaires... Une peinture de Paul Signac « Le monde idéal », sert de manifeste.


Être « partenaire officiel » de cette démarche implique, naturellement, d'adhérer aux lignes directrices édictées par un comité d'orientation, les partenaires garantissant, en quelque sorte, l'ancrage territorial. Car, en définitive, il s'agit d'une démarche concrète qui ambitionne de marquer son temps et les territoires, et de faire en sorte que 200 à 400 partenaires officiels d'initiatives accompagnées soient, eux-mêmes, initiatrices de projets...


Il est donc question de « pair à pair », de « maillages de structures et d'institutions», « d'embarquer ensemble des éco-systèmes » ; Toutes ces expériences de partage de cultures, de challenges communs, doivent nécessairement s'inscrire dans des lieux, ce qui sous-tend, naturellement, des collectivités impliquées.


Le design, tel qu'il est conçu ici, ne saurait se limiter à la définition stricte du dictionnaire et à la production soignée d'objets industriels avec une esthétique intégrée : cela peut aller très largement au-delà, intégrer des process d'élaboration, car la beauté est principalement définie comme une valeur d'échange.


Comme à l'époque du premier Bauhaus, il y a aujourd'hui une vraie peur du changement, et les freins à l’évolution sont puissants.


Partant du constat que les 2/3 des écoles vont devoir être démolies ou rénovées dans les dix prochaines années, -soit 150 au sein de la MEL d'ici à 2030-, notre projet consiste à nous poser collectivement la question de la manière de les rénover pour en faire des lieux de démonstration de leur temps. Bien entendu, il sera question de la configuration des espaces, mais pas modalités de recrutements, sur les nouvelles formes d'apprentissage, etc… Sur le plan pratique, cinq grands domaines d'intervention ont été repérés devant donner lieu à des réflexions particulières :


– rénovation des bâtiments

– changement des configurations spatiales,

– modifications de postures

– éco-école et communauté éducative

– nature et école.

D'une certaine façon, certains ont pu comparer ce dispositif à une sorte de « hacking institutionnel » de la part des équipes de la Commission, à la recherche des nouvelles bonnes pratiques, beaucoup plus en accord avec les temps qui viennent...


Jean-Pierre Mispelon fait remarquer qu'il est d'autant plus intéressant que ce thème de l'école ait été retenu que le Bauhaus originel lui-même était aussi et surtout un lieu d'enseignement. Même si, paradoxalement, l'école actuelle est aussi devenue un lieu où les enfants apprennent à leurs parents !

Christophe Bartholeyns indique que le projet « éco2schools » ne bénéficie pas encore de la labellisation NEB, car la complexité administrative des règles européennes ne l'a pas encore permis !

Question de précision de Sophie Ricard qui met en évidence la complexité du processus de labellisation et la petitesse de l’équipe de pilotage au niveau de la Commission. Mais aussi la lourdeur des processus par exemple d’accès au statut d’expert évaluateur, quand bien même les projets auraient été fléchés comme référence NEB. Car le filtre réel est celui des arcanes des grandes directions, qui conduit souvent à ne retenir que des référents hyper réputés (consortium ou collectivités).


B ) Emmanuel MOULIN :

Les leçons d'URBACT.


Le programme européen URBACT est l'un des 100 qui concernent le territoire de l'Europe et l'un des 4 qui couvre tout l'espace européen. Sur les 10 Milliards d'euros de la coopération territoriale, sous-catégorie de la « Politique de cohésion », le programme Urbact compte un budget de 100 Millions répartis sur 7 ans, pilotés par l'ensemble des 27 pays de l'U.E, qui en composent son comité de suivi.


C'est un réseau de 300 villes. Le programme dispose d'un groupe de 20 experts seniors, capables de prendre en charge des processus complets et d'animer les Universités d'été qui réunissent 400 personnes sur 3 jours, réparties dans environ 30 classes-ateliers. Par ailleurs, il comprend 300 à 350 experts locaux qui sont mis à disposition des réseaux pour mettre en place l'ingénierie locale la plus adaptée et pour participer à l'animation des moments de rencontres. Au Portugal et en Pologne, il existe un programme Urbact national.


On attache une assez grande importance à la dimension festive du programme. C'est la raison pour laquelle, de temps en temps, un festival réunit l'ensemble des participants au programme. Il aura lieu cette année à Pantin du 14 au 16 Juin 2022 prochains.


C ) Caroline NAPHEGYI


La communauté du design était en émoi à l'annonce de la fin de l'expérimentation qui a consisté en l'année (2020) où la MEL a été la Capitale Mondiale du Design. On y avait lancé un appel à projets (POC) et on a reçu 600 propositions, sur lesquelles on a sélectionné 70 cas. Il faut savoir que les designers ne sont pas tous d'accord entre eux sur les définitions.


Par ailleurs, après avoir capitalisé ce qui a été réalisé en 2020 produit un livre blanc, nous avons fait la proposition à la MEL de candidater auprès de la Commission (NEB) sur une boîte à outils en matière de design au service des territoires.


Dans le même ordre d'idées, on a lancé la tribune dans le Monde avec une version en ligne, pour la mobilisation autour du NEB.


L’association qui portait LWDC a été dissoute à l’issue de l’année 2020, obligation contractuelle vis-à-vis de l’organisation mondiale qui vend le label et ne souhaite pas voir perdurer l’appellation en dehors de son action. Cela est en même temps paradoxal car il y a un souhait de faire vivre l’héritage de cette année sur les territoires. C’est pourquoi j’ai repris la casquette « Design for Change », structure que nous avions créée en 2010 pour accompagner les territoires, dans une vision d’innovation sociale mais pas que…. Dans ce cadre de Design For Change, on avait lancé un concours international avec une soixantaine d’écoles sur tous les continents, avec des thématiques très générales, la cohésion sociale, la requalification du commerce, l’agriculture urbaine, l’ambiance urbaine, mais on a perçu qu’il fallait un cadre de référence qui apporte une matérialité qui permette aux étudiants de se projeter et donc de mettre en œuvre derrière. Sur les trois éditions, on a mis en œuvre simplement 4 projets, parce que entre le débat d’idée et la mise en œuvre, il y a un vide temporel qui fait que les collectivités ne suivent pas, malgré le fait que l’on ait eu beaucoup de partenaires. La candidature de la MEL à LWDC permettait de contourner cet écueil. Aujourd’hui il en va différemment. Il ne s’agit plus de reproduire ce concours mais de monter une école. Les call du NEB sont une occasion unique de prototyper quelque chose pour pouvoir le faire grandir et le déployer. Sur la question de la formation, pourquoi on voudrait formaliser cette école ? Le design a beaucoup évolué, depuis le Bauhaus initial, les pays ont créé des écoles comme en France l’Institut Français du Design de Jacques Vinot, avec l'idée d'être compétitif sur les marchés actuels, plutôt orienté design produit. Or depuis les années 50, le design a complètement été réinventé. Parce que le design s’est positionné en pivot de plusieurs corps de métier. Vous prenez quelqu’un comme Ramy Fischler, il fait partie d’un consortium sur Réinventer Paris. Avec d’abord une dimension de questionnement avant d’aller résoudre la problématique. Aujourd’hui les écoles de design sont encore dans un silo design, pas suffisamment en prise avec les questions scientifiques, technologiques, ce qui fait qu’il y a une nécessité de réformer l’école de design.

Nous nous sommes appuyés sur une recherche menée par l’IF Design Foundation basée à Cologne et qui a fait aussi ce constat en 2015 et ont mené des workshops en Afrique, en Asie et en Europe. Ils ont travaillé autour de 80 questions structurantes du métier de designer, et comment les écoles allaient pouvoir former les designers au monde de demain. La formation des professionnels passe de la question de la compétitivité à la question de la responsabilité sociétale. L’objectif est donc de prototyper une formation mais en la testant sur le terrain dans la philosophie POC (apprentissage par le Faire, héritage du Bauhaus). Avec une problématique qui est comment fait-on quand on travaille avec des personnes de langue différentes (Portugais, Allemands, …) dans une petite commune de la métropole où personne ne parlera anglais, allemand ou portugais ? Comment construire une formation européenne inclusive, c’est-à-dire qui fasse travailler ensemble des personnes de langue différentes.

En fait cet appel à projet n’est pas directement NEB mais « coopération culturelle »


Christophe Bartholeyns : la France et le Québec semblent en effet changer d’approche, ce que l’on n’observe pas en Allemagne ou aux Pays Bas…

Jean-Marie Ernecq. :On parle d’un monde qui n’existe pas parce que tout le monde a son quota de pouvoir sur un quota de gens et cela fige les choses. (cf la difficulté de trouver un enseignant lors de l’émergence de la discipline de « géopolitique »). Nécessité de trouver les formulations qui parlent au professionnel lambda.

Jean-Pierre Mispelon. : Le rôle des organisations comme les nôtres (UHdF) c’est de voler au secours des institutions. On a vu toutes les limites de la comparaison BW/NEB, mais à leur décharge, rien ne pousse par en bas.


D ) Sophie RICARD


Je suis très intéressée par ces questions de « nouvelle école ». Je suis architecte. J’ai fait mes armes aux côtés de Patrick Bouchain durant 10 ans. Ce qui m’a intéressée c’est d’être sur le terrain. Quand on est à l’école (archi, urbanisme, …) on est pas sur le terrain. Ce qu’on est en train de dire c’est comment on fait sortir l’école au dehors.

On avait parlé de l’école apprenante mais il a fallu la COVID pour se rendre compte qu’il n’y avait pas que le corps enseignant, mais aussi le corps social, celui des voisins, des parents...


En 10 ans j’ai mené deux opérations. Trois années à Boulogne sur Mer sur une petite cité qui était vouée à la démolition, et de 8 années à Rennes, sur la programmation ouverte à imaginer sur le Bâtiment de l'ancienne Faculté des Sciences. Ouvrir à la population, mettre à l’épreuve des usages, …

Je voudrai revenir sur les trois valeurs pour évoquer une philosophie qui m’imprègne plus dans ma pratique, les trois écologies de Guattari : environnementale, sociale (qui inclue la dimension économique) et mentale (équilibre mental et social).

Bruno Latour : « il n’y a pas de monde commun, il faut le composer. Il n’y a pas d’univers, il y a un plurivers ». Qui dit composition, dit complexification, et donc re-territorialisation de la commande, -cf ANRU et/ou écoquartiers- qui sont d’abord des tableurs excel, des modèles économiques ultra figés, ultra normés, ultra contraints, qui rende impossible un urbanisme « vivrier ».


Avec la « Preuve par 7 », se pose la question de comment on trouve des territoires d’expérimentation, des territoires démonstrateurs, non pour répliquer des modèles, mais des processus. Faire école pour essayer d'essaimer des processus nouveaux et de nouvelles manières de faire. La plupart des architectes n'ont appris qu'à répondre à une commande. Je préfère être à côté de l’élu pour rédiger la commande. En l’état actuel, répondre à la commande c’est l’enfer. Mais il importe de la re-questionner pour mieux y répondre. Ainsi on repolitise nos métiers et en ré-inventant les paysages pour y resituer les nouveaux projets. L’école nous a appris à répondre à de la commande, en oubliant d’apprendre à reprendre possession du déjà là, faire l’état des lieux et comment on repense l’existant.

Cela veut dire que le processus d’enseignement doit être repensé puisqu’on ne peut pas penser quelque chose de neuf ex-nihilo sur plan, sans y vivre, sans communier à l’histoire des habitants des lieux passés ou présents.


Il faut vivre les lieux pour les réinterpréter, pour tester leur réversibilité. Pour pouvoir argumenter le fait que les normes doivent se mettre au service du bon sens qu’est l’usage, et plus l’inverse. La « Preuve par 7 » est une école du terrain. La Fondation de France permet d’échapper au travers des appels à contribution. Un centre ressource car des expérimentations il y en a partout, pour faire récit. Créer de la jurisprudence.

Une étude de faisabilité en acte a été mené à Pasteur à Rennes, avec une redélégation de confiance au citoyen. La participation c’est expérimenter ensemble.

En tant que concepteur, il faut que l’on soit en maitrise d’ouvrage. Un partenariat avec les écoles (archi, designer, AFPA, ) de Rennes a été conduit, et nous nous sommes inscrit dans une gouvernance citoyenne, condition de la pérennité du projet. Le design apporte aussi la nécessité de travailler à différentes échelles territoriales, - du bourg à l'espace régional-. En ce qui nous concerne, nous avons appris à travailler avec la Fondation de France, car elle fait des projets très localisés et a acquis une culture locale intéressante ;


Enfin il nous semble particulièrement nécessaire d'associer la société civile car elle est capable d'innover, quelquefois autant sinon plus que certains experts. De ce point de vue, il convient d'être dans une posture d'Assistance à la Maîtrise d'ouvrage pour être en mesure de « faire bouger les lignes ».


Jean-Pierre Mispelon : ce qui est intéressant dans votre démarche, c’est que vous arrivez à combiner avec l’institutionnel et à le ressourcer. En tant qu’association, nous pourrions aussi aider chaque acteur, là où il est, à bousculer le cadre et les institutions pour que l’on puisse faire autre chose que de l’appel à participation qui ne débouche sur rien.

Sophie Ricard : bousculer, ou faire une mise en réseau ...

Emmanuel Moulin : Je voudrai revenir sur un des termes de NEB, Européens. Outre les difficultés évoquées, il y a aussi celui de le faire dans un cadre Européen. Par exemple, avec le recul, la limite d’Urbact c’est l’Europe, c’est-à-dire que signifie apprendre en commun à l’échelle européenne, à partir d’un territoire ? Urbact, tout en étant extrêmement concret, a la limite de ne pas savoir conserver toute la densité de ce qui est produit à cette échelle européenne. Déjà, il n’y a pas le même type d’expert au niveau européen et au niveau national. Quid de la question de la langue, que nous avons contourné par deux niveaux d’échange, l’un dans les villes avec la langue locale et au transnational avec l’anglais.

Jean-Marie Ernecq : la langue n’est pas la seule source d’incompréhension : culture, rapport à la santé, ….

Sophie Ricard : c’est hallucinant que ces questions ne soient pas plus présentes alors que même en France nous avons une grande diversité culturelle. Comment on trouve les espaces de vie sociale qui permettent de partager quelque chose quand on ne parle pas la même langue. Sur le chantier, la question ne se pose pas. On mange ensemble, on échange ses savoirs faire, … (ndlr ce qui démontre un peu plus l’impasse d’une gouvernance par les idées qui impose à passer par le détour de la langue pour vivre ensemble).


E) DOMINIQUE LANCRENON


M’étant prêtée à la proposition initiale de visiter l’exposition au LAM, j’ai pu constater à travers les œuvres que le souci majeur de Klee avait été de réinterroger la notion même d’art, en allant investiguer les travaux de personnes accueillies dans des établissements de santé mentale, ceux des colonies et ces propres dessins d’enfance. La question pour aujourd’hui, c’est donc comment on pousse les limites ?

Pour rester sur cette période du début du siècle, en rappelant mon implication au sein de la SFU qui a vu le jour en 1911, au moment même quasiment où se mettait en place les « plans d’embellissement des villes » voulus par la loi Cornudet de 1919, et qui ont tenus jusqu’en 1945.

Puisque l’on parle d’école, il faut se rappeler aussi l’émergence de la méthode Montessori qui a montré au sortir de la guerre sa capacité à intégrer des enfants considérés comme « débiles » car venant de milieux défavorisés.

On a beaucoup à apprendre de cette période-là, et que l’Europe nous interpelle la dessus est intéressant. Que ce soit une référence allemande nous renvoie également à l’expérience des IBA, où l’on crée une dynamique intellectuelle qui transgresse les lignes ; et ce faisant permet d’aller chercher des moyens.

Il y aura probablement des résistances, et cette idée du NEB va devoir se glisser dans les politiques existantes. Entre cette démarche de « coucou » dans les caisses européennes et l’envie du terrain, il y a un gap, et nous nous pouvons jouer un rôle de passeur.

En 2021, les jeunes urbanistes européens, sous l’égide du CEU, ont travaillé sur le NEB. De fait, il y a eu un effet Covid, mais aussi travail sur économie circulaire et facilité d’échange sur le plan liée au numérique.

L’OPQU travaille actuellement sur des processus de reconnaissance mutuelle entre Français/Grecs et Français/Irlandais. En France il y a une reconnaissance de la pratique alors qu’en Irlande, on ne reconnait que le diplôme.


Christophe Bartholeyns : attention, signal fort, il y a une jeune génération d’urbanistes qui est en train de basculer vers le design, parce que la dynamique de terrain est tellement importante pour eux, qu’ils vont vers ça. Notamment parce que la commande aujourd’hui pour les petites entités est beaucoup sur les démarches participatives.

Jean-Pierre Mispelon : plutôt que d’étudier la culture, on va partager la culture. Au CEU, est-ce que vous arriver à introduire de l’expérience dans vos échanges, ou est ce que ça reste de la communication en anglais ?

Dominique Lancrenon : Lors de la conférence des CIAM en 36, qui n’avait pas pu se faire à Moscou par refus de Staline, il avait pris un bateau à Marseille et étaient partis à Athènes. Ils ont discuté durant toute la croisière, et en arrivant à Athènes, ils ont fait publier dans le JO grec l’obligation du recours à l’Espéranto, parce que ça avait été la cacophonie sur le bateau.

Jean-Marie Ernecq : On a dépassé cette phase où c’est le technique qui prime tout de façon non négociable. On est en train de se dire que si on ne ramène pas des valeurs, du projet de société, on va dans des travers épouvantables.

Emmanuel Moulin : De fait dans un quartier, il y en a qui s’expriment et d’autres pas. IL faut réaffirmer un certain nombre de principes : la co-décision, participation avancée (cf nouvelle charte de Leipzig). Ça serait bien que le NEB puisse avoir un certain nombre de garde-fou. Une charte ou autre. Et que dans ce cadre-là on réaffirme l’importance du politique. Par exemple, à Urbact, il y a une chose que l’on n’a pas changée depuis 30 ans, c’est la définition de la ville, qui donne la primauté au politique, au niveau d’un quartier, d’une commune, d’une agglo,

On a aussi une contribution à donner pour réhabiliter le politique, et comment le fait-on ?

Christophe Bartholeyns : Beaucoup de financements vont vers l’immatériel. Pour les chantiers qui sont devant nous, il n’y a pas de marché. Des décisions en pair à pair.


 

ÉLÉMENTS DE CONCLUSION


Myriam Cau

Il serait bien de faire fructifier cet échange. il nous faut faire remonter à l’Europe et à la Région. Caroline Naphegyi estime qu'en France on n’arrive pas à monter des coopérations pour répondre aux appels à projet.


Deux univers se dégagent :

- l’univers européen avec ces trois mots inclusion, soutenabilité, et beauté…. pose un très beau manifeste. Il se heurte aux difficultés des différences de cultures, l’obstacle de la langue, la complexité du système européen, alors que l’on traite déjà de la complexité de la ville sur les territoires

- et l’autre écosystème, celui des collectivités, avec d’autres mots : mutation, mouvement, politisation de la société dans des vrais rapports de force plutôt que de se reposer uniquement sur des élus

Finalement, l’enjeu c’est probablement celui de l’enrichissement culturel, comment on fait des passerelles pour aller rechercher ces croisements culturels... Très modestement, l'exemple de Roubaix montre une voie, dans cette Europe du quotidien : on y parle toutes les langues italien, portugais, ... les diasporas sont un vrai vecteur pour passer au-dessus de nos difficultés à communiquer. Et quand on ne connait pas la langue de l’autre, on peut quand même manger ensemble ... La convivialité partagé autour d’un repas restera toujours un levier


On constate aussi que beaucoup de choses reviennent sur l’enseignement, l’école, le formatage ou le dé-formatage, l’ouverture, c’est un challenge. Cela peutr s'inscrire dans la notion de territoires apprenants. Et puis le droit au beau, comme un pendnat du droit au logement par exemple, peut exister, sachant que dans le beau ne se résume pas à une approche esthétique mais se réfère à quelque chose qui convient et quelque chose qui nourrit. Cette question du beau n’est pas souvent abordée et notamment en urbanisme où il y a vite un procès en esthétisme.


Christophe Bartholeyns : Pour échapper à la peur du changement, il y a pas beaucoup d’autre manière que de rendre le changement désirable en invitant les gens à la table du changement.


Myriam Cau : le pouvoir n'est jamais donné, on doit le prendre


Caroline Naphegyi : la participation doit se jouer sur les variables qui impactent les personnes : les besoins, les usages, de tout ce qu’ils peuvent apporter qui n’est pas nécessairement de l’ordre de la décision



VERBATIM

Dans la preuve par 7, le 7ème fondement invite à porter attention à la dimension esthétique

« Le travail de terrain nous invite à prendre soin de l’existant, vivant comme non-vivant, à porter attention au patrimoine bâti et social. Cette posture de travail est porteuse d’une esthétique qui révèle les disparités, les diversités et la beauté de nos territoires.

La Preuve par 7 invite à considérer chaque acteur, chaque savoir-faire et savoir-être, comme une composante du projet. C’est en effet dans cette relation de confiance, dans le fait de s’autoriser à construire ensemble que peut naître une esthétique hors des normes et des réglementations qui bien souvent uniformise ou paupérise le geste. Les projets adhérents à la démarche sont ainsi invités à laisser advenir l’impensé et le non dessiné, dans un partage démocratique, une jouissance collective des espaces. Là aussi l’école est importante. Toute action de construction peut être le support de chantier-école : lieu d’application pour nos écoles d’art et d’architecture mais aussi pour les nouvelles formations liées au bâtiment et aux différents savoir-faire qui en émanent.

Le chantier, invitation à l’œuvre, doit être considéré comme un acte de transformation plurielle qui doit révéler les ressources de nos territoires et valoriser leurs identités. »


 

[1] LWDC = Lille World Design Capital, Capitale mondiale du Design en 2020. [2] POC = Proof of Concept, livrables des porteurs de projets dans le cadre de LWDC. 600 POCs reçus, 250 sélectionnés, 70 mis en œuvre. [3] Design For Change a été créée en 2010 avec la complicité de Alain Thuleau, pour valoriser le design comme levier d’évolution de la société. [4] A traduire par les appels à projets [5] Urbact = programme de coopération territoriale, qui est une sous-catégorie de la politique de cohésion qui elle pèse 10 milliards d’euros sur 7 ans pour 100 programmes. [6] Le prochain aura lieu en juin 2022 à pantin [7] la Preuve par 7 expérimente à travers des projets concrets, qui s’appuient chacun sur un triptyque d’acteurs locaux volontaires : des décideurs politiques, des opérateurs, et des “forces vives” publiques ou privées, usagers et riverains.



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